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19/06/2013

L’évolution des interventions préventives du juge des référés dans l'entreprise : des craintes d’un interventionnisme judiciaire fondées ?

IMG-20130107-01332.jpgIl y a presque 10 ans, je soutenais ma thèse consacrée à l’étude de l'activité préventive du juge des référés dans les entreprises in bonis. La notion d'entreprise était appréhendée sous une forme « unifiée », proposée par la "doctrine de l'entreprise" et renvoyait ainsi aux interventions du juge en droit du travail mais également en droit des sociétés commerciales.

 

L'étude terminée il y a dix ans avait notamment mis en exergue l’intervention préventive grandissante du juge des référés. Le champ d’intervention s’élargissait singulièrement et s’accompagnait d’une diversification et d’un affinement des mesures ordonnées.

Ainsi, en droit des sociétés, et pour ne citer que les jurisprudences les plus connues, la désignation de mandataires dans le cadre de crises sociétaires s’était accompagnée de mesures plus adaptées et l’administration provisoire classique était remplacée par des mesures plus souples de « conciliation » et « d’observation ». Les situations dommageables évitées étaient corrélativement élargies et la prévention de dommages tels que des dissolutions, abus de majorité ou irrégularités graves pouvaient également concerner des cessions litigieuses d’actions ou des crises sociales endémiques néfastes à terme aux sociétés commerciales.

La tenue des assemblées, notamment par le recours à l’ajournement d’assemblées générales était également le fait d’évolutions notables, lesquelles permettaient de prévenir des irrégularités mais également des abus de majorité manifestes, voire des spoliations de sociétés. Le recours aux injonctions permettaient enfin, par le recours à des mesures ponctuelles et circonscrites, de prévenir des situations dommageables diverses et variées et la prise de décisions illégales et irréversibles.

Les interventions du juge des référés en droit du travail révélaient également une étendue de cette activité préventive : la prévention d’irrégularités, de délits d’entrave, de licenciements sans garantie de plan social ou sans reclassement apparaissait comme une avancée majeure des juridictions du droit du travail à cet égard. Enfin, le développement de la jurisprudence en matière de licenciements économiques, visant notamment à contrôler les plans sociaux ou les interventions judiciaires se traduisant par la suspension de procédures de licenciements en raison de consultations irrégulières des comités d’entreprises semblaient être les interventions les plus audacieuses et les plus remarquées.

Cependant et dans le même temps, le lecteur découvrait les craintes doctrinales récurrentes d'une intervention judiciaire dont l'utilité et la pérennité devenaient pourtant irréversibles. Ainsi, et d’une manière générale, chaque nouvelle intervention du juge des réfères en droit du travail et en droit des sociétés commerciales s'accompagnait d'interrogations voire d'affirmations relatives à un "interventionnisme judiciaire" contesté et contestable.

Je m’étais pour ma part attachée à nier l’existence de ce prétendu "interventionnisme" judiciaire tant redouté en soutenant que le juge des référés ne s'immisçait pas dans la gestion de l'entreprise puisqu’aucune de ses interventions en la matière ne se traduisait par une appréciation de l’opportunité même d’un choix de gestion. L’étude des référés spéciaux corroborait du reste clairement cette analyse. Les mesures telles que l’expertise de gestion ou les convocations judiciaires d’assemblées étaient interprétées de manière restrictive précisément parce qu’elles exposaient le juge, statuant en la forme des référés, à une immixtion dans la gestion.

En 2013 alors que l’économie traverse une période de transition sans précédent, l’urgence et le court terme font partie du quotidien des entreprises qui ont un besoin grandissant de procédures rapides. L'efficacité remarquée et remarquable du juge des référés, juge du provisoire, mais dont l’intervention suffit parfois à mettre fin au litige, ont fait de lui un personnage et une juridiction incontournable de l'entreprise.

Après presque une décennie, une progression logique des sollicitations du juge des réfères et une légitimé renforcée, la question peut se poser de savoir si la crainte d'un interventionnisme dans les entreprises s'avère aujourd'hui fondée.

En dépit d'une intervention encore plus soutenue, l'image d'un juge interventionniste ou intrusif ne me semble toujours pas, à l'heure actuelle,  correspondre à la réalité de l'activité préventive du juge des référés dans les entreprises in bonis.

Il apparaît qu'en réalité le juge respecte le principe de non immixtion dans la gestion. Certes, le principe a pali mais il n'est cependant pas  exsangue. Ses contours ont simplement pu être redéfinis à la faveur des multiples interventions du juge. Finalement, et contrairement au discours dominant, il semble que le juge a su rester dans un office traditionnel. Simplement, il entend exercer pleinement une fonction de prévention qui constitue un des substrats de son pouvoir. Cette volonté très nette,  ne fait pas  de lui un "intrus" et le fait qu'elle se manifeste par des interventions dans la vie de l'entreprise ne peut conduire à lui opposer des limites étrangères aux autres disciplines.

Dès lors, et sous réserve de réformes à venir fondamentales, il est possible d'envisager une multiplication et une diversification des interventions préventives du juge des référés au sein des entreprises in bonis.

Les acteurs économiques et sociaux ont pris conscience de la nécessite d'une telle intervention et son efficacité est devenue incontestable. Rapidité, exclusion de remises en état a posteriori coûteuses et peu satisfaisantes, protection juridique en amont et effective, apparaissent comme des atouts fondamentaux. Il est peu probable que l'intervention de cette juridiction ne trouve pas à s'épanouir davantage dans un futur proche. A cet égard, les avancées se manifesteront probablement, et en premier lieu, en droit du travail. Le dynamisme jurisprudentiel en la matière est notable. Le juge des référés y a élaboré des jurisprudences dont la hardiesse s'oppose du reste aux interventions observées en droit des sociétés commerciales.

Ce dynamisme expose bien évidemment le juge des référés à un risque d'immixtion dans la gestion qui ferait de lui un intrus. Néanmoins, on observe que certaines velléités jurisprudentielles trop interventionnistes sont généralement réformées. Les interventions du juge judiciaire médiatisées en matière de plans de sauvegarde pour l’emploi, qui devraient du reste ne plus être d'actualité avec la loi sur la sécurisation de l'emploi, témoignent de le recherche d'un équilibre entre une intervention légitime et un interventionnisme judiciaire critiquable tant sur le plan des principes juridiques que sur celui de son opportunité.

Il est important de comprendre que seule la poursuite d'une intervention équilibrée, c'est à dire justement une intervention ne faisant pas de cette juridiction un gestionnaire, pourra renforcer la légitimité de ses interventions. Le discours des partisans d'une intervention plus intrusive est généralement motivé par le souci de la protection des plus faibles, c'est à dire des actionnaires minoritaires ou des salariés. Si ce discours participe a priori d'une conception généreuse de la fonction du juge, il semble en réalité dangereux.

Un juge qui aurait le pouvoir d'apprécier des choix de gestion, s'affranchirait dangereusement de son office traditionnel. Corrélativement et plus encore, un tel interventionnisme pourrait en réalité jouer en défaveur des personnes que l'on cherche précisément et légitimement à protéger. Cette problématique qui doit être rappelée pour les interventions du juge du fond trouve un intérêt accru pour ce qui concerne les interventions préventives de la juridiction des référés. Le développement de l'intervention de cette juridiction devenue indispensable aux relations d'affaires et du travail requiert la persistance d’une souplesse pragmatique et équilibrée qu'elle a finalement su trouver.

 

La thèse :

juge refere.jpgLes interventions préventives du juge des référés dans l'entreprise

Préface de Marie-Anne Frison-Roche

Marie-Antoinette Mondoloni

Editeur : Presses Universitaires d'Aix-Marseille - P.U.A.M.

Collection : Institut de Droit des Affaires

ISBN : 978-2-7314-0432-6

358 pages - Parution : 10/2004

http://www.lgdj.fr/theses/11815/interventions-preventives...

 

Pour consulter la préface de la thèse :

http://www.mafr.fr/IMG/pdf/9-4.1_Prface_thse_Mondoloni.pdf